En 1930, John Maynard Keynes, pourtant l’un des plus grands économistes de son temps, prédisait que la poursuite de la croissance économique au cours du siècle à venir réduirait la semaine de travail à 15 heures. Nikola Tesla, ingénieur de talent, y allait lui aussi de sa prédiction en 1935 en voyant les robots exécuter la plupart des travaux humains au cours des cent années suivantes. En 1959, le ministre des Postes américain prédisait, quant à lui, que le courrier d’aujourd’hui serait envoyé par fusées (avouons que le courrier électronique s’est avéré être une option plus rentable). Enfin, en 1964, la RAND Corporation annonçait que nous élèverions des singes intelligents pour effectuer un travail manuel d’ici 2020…
Ces prédictions, et bien d’autres sur l’avenir du travail, ne se sont pas déroulées exactement comme prévu et l’on mesure la difficulté de se projeter lorsqu’il s’agit de parler avenir du travail et des lieux de travail. Beaucoup de directeurs de l’immobilier et de l’environnement de travail prônent d’ailleurs actuellement un « wait and see » prudent et de bon aloi.
Pourtant, les stratégies immobilières s’étendant sur des temps longs, il va bien falloir finir par se projeter, donc par faire des choix. Et qui dit choix dit responsabilités, car ces choix seront extrêmement engageants, non seulement pour l’organisation qui les fait mais pour toute la société.
Alors, aujourd’hui, au milieu du battage médiatique autour du travail hybride, quel avenir peut-on imaginer pour nos bureaux ?
Le courant de pensée majoritaire semble clairement pencher pour l’hybridation, c’est-à-dire un mélange de temps de présence sur son lieu de travail, chez soi, dans un tiers lieu… avec des interactions mixant présentiel et virtuel. Ce discours nous mène logiquement à envisager des bureaux moins fréquentés, donc à partager, et servant toujours plus à retrouver ses collègues, pour collaborer et échanger, de manière formelle ou informelle, voire conviviale. Un « happen space » plus cosy, plus collectif, plus neutre pour la planète et aussi moins consommateur de surfaces.
Il faut dire que les arguments en faveur de cette tendance sont nombreux et portés par des attentes fortes du côté des salariés. Toutes les études montrent en effet leur souhait de recourir plus largement au télétravail, un mode de travail que dirigeants et managers ont fini par voir d’un meilleur œil… même si ce fut un peu contraints et forcés.
Peu de surprise en perspective donc… si on s’arrêtait là !
Car la question essentielle qu’il faudrait ici se poser, c’est pourquoi les salariés français sont-ils aussi demandeurs de télétravail ? Est-ce que cette attente est directement reliée à l’évolution du travail à réaliser en lui-même ?
Oui… et non. Certes, le travail en milieu tertiaire est de moins en moins constitué de tâches répétitives effectuées seul à son bureau et de façon ininterrompue. La « réunionite », cette façon de brocarder la tendance à travailler de plus en plus en collaboration, n’est pas nouvelle. La différence, c’est que les outils technologiques nous permettent aujourd’hui de réaliser ces tâches à distance.
Et s’épargner des heures de transport pour assister à une réunion est un argument de poids. Mais, si on arrivait à réduire ce temps de transport, est-ce que les salariés concernés préfèreraient toujours recourir autant au travail à distance ou préfèreraient-ils passer plus de temps sur leur lieu de travail habituel ?
Idem avec les souhaits exprimés de plus grande autonomie, d’allègement de la pression ou de maîtrise de son temps et de son organisation. Si le management réussissait à alléger ces éléments vécus comme des contraintes parfois inutiles par les salariés, seraient-ils aussi désireux de travailler chez eux ?
Enfin, « last but not least », si les lieux de travail proposaient plus d’espaces où s’isoler pour se concentrer ou tenir une visioconférence avec, cerise sur le gâteau, la possibilité de se l’approprier un peu, verrions-nous une telle appétence pour le travail à domicile ?
La dernière étude de Steelcase à ce sujet présente ainsi des résultats étonnants. Menée sur près de cinq mille employés de bureaux à travers onze pays différents, l’étude porte sur ce qui est, d’après les sondés, devenu plus important au bureau aujourd’hui comparé à l’époque pré-Covid. Si les espaces de travail collaboratifs arrivent bons premiers, ils sont suivis de trois typologies d’espaces privatifs ou semi-privatifs. L’étude montre que le fait de ne pouvoir convenablement s’isoler pour effectuer des tâches de concentration ou d’échange en « one-to-one » en présentiel comme en virtuel au bureau contribue au désir de travailler chez soi, où ces facultés sont accessibles. Un comble !
Il n’y a donc pas de fatalité au développement du télétravail et du flexoffice. Il y a clairement d’autres choix possibles qui respecteraient tout autant les attentes des collaborateurs même s’ils nécessitent une volonté et des actions puissantes et un peu à contre-courant des discours ambiants. Ils seront aussi le fait d’arbitrages entre les politiques RH, financière et immobilière. Leurs résultats impacteront notre modèle de société dans les années qui viennent.
Il sera passionnant de voir quelles options seront privilégiées. Les directeurs de l’immobilier et de l’environnement de travail auront un rôle éminent à jouer pour participer au débat et aux réflexions.
Et ils peuvent compter sur ANews WorkWell pour se faire leur porte-voix !
Bonne semaine à toutes et à tous.
Lionel Cottin
Directeur de la rédaction d’ANews WorkWell