[EDITO] La guerre du télétravail a-t-elle commencé ?

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Dans la série « Elon part en croisade », voici l’épisode sur le télétravail ! Après avoir transféré, sans consultation, le siège social de Tesla de la trop libérale Californie à son goût vers le très conservateur Texas, et annoncé vouloir racheter Twitter pour que son mentor, Donald Trump, puisse à nouveau y déverser ses diatribes débridées, Elon Musk part en croisade contre sa nouvelle lubie : le télétravail !

Dans des mails internes aux salariés de Tesla, évidemment rendus publics, ce dont se doutait forcément l’impétrant, le très égotique Elon Musk fustige cette nouvelle habitude de vouloir éviter des heures de transport pour travailler de chez soi. Comme si les années de pandémie n’avaient pas permis de constater que non seulement le travail a été réalisé, mais que, globalement, le nombre d’heures travaillées avait augmenté. Comme si, surtout, l’homme d’affaires se fichait royalement des aspirations de ses collaborateurs.

Au-delà du fond, c’est aussi la forme qui choque. Entre injonction à être présent « au minimum 40 heures par semaine » au bureau (durée légale hebdomadaire aux Etats-Unis), encourageant donc au passage les heures supplémentaires, voire le présentéisme, dévalorisation du télétravail, et donc de celles et ceux qui le pratique, qu’il considère comme des employés faisant « semblant de travailler », et menace explicite de rupture de contrat de travail (« si vous ne vous présentez pas, nous supposerons que vous avez démissionné »), le patron de Tesla affiche un mépris sans fard pour le dialogue social. Comme quoi, on peut être visionnaire et entrepreneur à succès et ne rien comprendre aux évolutions sociétales.

C’est dommage, car si on passe au-delà d’une communication pensée pour faire le « buzz » et marcher dans les pas de l’ancien président des Etats-Unis (dont manifestement il s’inspire pour s’imaginer un jour lui succéder), reconnaissons que certains des arguments avancés pour engager ses collaborateurs à revenir au bureau ne manquent pas de pertinence.

Selon lui, le télétravail créerait en effet une main-d’œuvre à deux niveaux dans laquelle les « yuppies » (Young Urban Professionals), terme (péjoratif) employé aux États-Unis pour qualifier les jeunes cadres dynamiques et ambitieux, bénéficieraient de tous les avantages que la flexibilité a à offrir, tandis que les employés cols bleus (les salariés des usines) en seraient privés. Sur le papier cet argument peut être considéré comme recevable, voire légitime venant de celui qui avait déclaré faire du camping sur le toit de l’une de ses usines pour éviter de perdre 30 minutes de trajet pour se rendre à l’hôtel le plus proche.

L’e-mail ne mentionne pas de date d’entrée en vigueur de cette nouvelle politique, mais elle suscite déjà le débat. Certains observateurs estiment qu’Elon Musk joue un jeu dangereux et pourrait perdre de nombreux salariés qui préféreraient démissionner plutôt que de se plier à ses ordres. D’autres considèrent que le risque est minime. Un rapport d’impact publié en 2021 mentionnait que Tesla avait plus de 3 millions de potentiels candidats à l’emploi dans le monde.

Le sujet en tout cas divise les entreprises. À l’instar d’Apple ou de Microsoft, de nombreuses entreprises s’efforcent de rapatrier leurs salariés sur site, comme le révélait un article paru récemment dans le New York Times. Après deux ans de visioconférences et de chats Slack, les grandes entreprises technologiques déploient le « fun wagon » et rivalisent de créativité (concerts, food trucks…) pour convaincre leurs salariés de revenir au modèle des longs trajets quotidiens du matin et des open spaces bruyants.

À l’inverse, d’autres entreprises considèrent désormais la flexibilité comme un outil de recrutement. Une mutation nécessaire pour répondre aux nouvelles aspirations des salariés en quête d’émancipation, de flexibilité, d’équilibre et de sens. C’est le cas de Salesforce et Airbnb qui ont instauré le « Work From Anywhere », ou encore de HSBC pour qui « l’avenir sera diversifié et hybride ».

La guerre du télétravail semble donc bel et bien déclarée et bien malin qui saura dire qui l’emportera entre les tenants du « tout présentiel » et les partisans du « travail hybride », même si ce dernier a clairement le vent en poupe, porté par une aspiration extrêmement forte à plus d’équilibre entre les temps de vie.

Avouons que la perspective de passer, en moyenne, presque une année de vie dans les transports domicile-travail (326 jours exactement, selon une étude d’Euro Car Parts de 2018) n’a rien de super motivant !

Toute l’équipe d’ANews WorkWell vous souhaite une belle semaine, qu’elle soit hybride ou pas !

Lionel Cottin
Directeur de la rédaction d’ANews WorkWell