Dans un texte récent publié sur son blog, Flo Crivello, jeune ingénieur français ayant cédé aux sirènes californiennes et fondé plusieurs start-ups après avoir traîné ses guêtres chez Uber, explique avec force arguments pourquoi il a changé d’avis sur le travail hybride et demandé à tous ses collaborateurs de revenir au bureau à plein temps. S’il reconnaît que le télétravail est plus « confortable » du point de vue du mode de vie, il énumère les inconvénients qu’il a expérimentés ces derniers mois du point de vue du chef d’entreprise. Le principal étant l’asynchronie des échanges qui aurait rallongé les délais de décision et de mise en œuvre, malgré les outils de visioconférence qui permettent, certes, les échanges synchrones, mais n’offrent pas la même spontanéité. Au final, il déplore le manque d’alignement généré par le travail à distance. Il met également en avant les avantages de la vie sociale et conviviale sur site et l’importance de cultiver son réseau (même s’il l’illustre en citant la réussite d’une plateforme virtuelle, mais passons).
Flo Crivello fait finalement le constat que, dans son cas, cela n’a pas fonctionné. Il est très intéressant de voir un jeune chef d’entreprise le reconnaître et tenter de l’expliquer, et en soi la démarche méritait, je trouve, d’être signalée. L’effort, louable, me laisse cependant sur ma faim. S’il semble que le critère de l’efficacité et du respect des délais ait joué un grand rôle, nous ne savons rien des conditions dans lesquelles ce travail hybride a été expérimenté. Comment l’organisation s’est-elle faite ? A quel point les collaborateurs et managers ont-ils été impliqués ? Quelle est la culture de l’entreprise ? Quels outils et accompagnement au changement ont été fournis ? Et surtout, quels ont été les critères d’évaluation pour attester de la réussite, ou non, du modèle de travail hybride mis en œuvre ?
Je suis frappé de constater que le travail hybride soit aujourd’hui surtout considéré comme un avantage social et un atout pour la marque employeur. Quelques études se sont essayées à mesurer le gain de productivité. Globalement, il semble qu’il soit plutôt positif, mais là encore, tout dépend des conditions de mise en œuvre. Bref, à l’heure où près des trois-quarts des entreprises adoptent un mode d’organisation du travail hybride (aux Etats-Unis), une étude de la société Omdia nous apprend que, si 54% des entreprises disent constater un gain de productivité, elles ne sont que 22% à avoir défini des indicateurs d’évaluation de la mise en place du travail hybride.
Or, les indicateurs peuvent être multiples et de natures très diverses. Du côté des critères quantitatifs, le turn-over bien sûr est à prendre en compte, de même que les arrêts maladie, les retards, le nombre de candidatures spontanées et de recrutements sur les postes en tension… Au niveau de la productivité, des critères peuvent également être définis en fonction des métiers, comme par exemple le nombre de lignes de code produites avant et après l’adoption du mode hybride (en évitant toutefois les logiciels traqueurs qui ont un impact négatif sur l’engagement et le stress des collaborateurs !). Des critères plus qualitatifs enfin doivent être pris en compte pour évaluer l’impact sur la collaboration, l’innovation, le sentiment de bien-être, l’engagement… Pour ces indicateurs, il faudra compter plutôt sur des interviews et focus groupes à renouveler régulièrement. Le tout devant être replacé dans le contexte de la culture d’entreprise, de l’effort d’accompagnement au changement mis en œuvre et des outils adéquats, ou non, fournis aux collaborateurs, et notamment aux managers.
Bref, en l’absence de démarche sérieuse et solide d’évaluation des plus et des moins du mode d’organisation hybride du travail, je crains que nous ne passions à côté de l’essentiel du sujet, laissant la place aux débats philosophiques et sociologiques, qui ont un grand intérêt, mais sans bien comprendre tout ce qui se joue sur le terrain. Et qu’au final, certains décident de jeter le bébé avec l’eau du bain un peu abruptement plutôt que de trouver, petit à petit, l’organisation qui sera la plus efficiente.
En attendant, je vous propose de vous intéresser à l’utilité du bureau dans le « new normal » du travail des salariés grâce à la prochaine table-ronde d’ANews WorkWell qui réunira Kévin Bouchareb (Ubisoft), Odile Duchenne (Actineo) et Valérie Ducruet (Bene) dont vous pourrez recevoir le replay en avant-première en vous inscrivant ici
Toute l’équipe d’ANews WorkWell vous souhaite une excellente semaine !
Lionel Cottin
Directeur de la rédaction