Ils sont livreurs, aides à domicile, agents d’entretien, vigiles, transporteurs, déménageurs, aides-soignants, caristes, caissières, serveurs ou encore aides agricoles… Ils représentent plus de 13 millions de travailleurs et la Fondation Travailler autrement présente les résultats d’une étude portant sur ces travailleurs qu’elle qualifie d’“Invisibles”, ou “travailleurs du back-office de la société de services”.
L’enjeu de cette étude était de comprendre quelle est cette frange de la population à laquelle il a été demandé de continuer à travailler comme si de rien n’était pendant la pandémie, et qui compte nombre de salariés de la filière des services à l’environnement de travail.
L’enquête, réalisée par Occurrence auprès de 15 000 répondants, montre que, s’ils concourent tous au bon fonctionnement de la société auprès des citoyens comme des entreprises, ces travailleurs sont surtout liés par le manque de perspectives sur leur avenir et le caractère contraint de chaque aspect de leur vie :
– leur vie familiale est souvent source de difficultés notamment pour les familles monoparentales et les femmes isolées ;
– le logement est un besoin primaire difficile à satisfaire ;
– les transports et la mobilité géographique imposent un rythme de vie tendu ;
– les contraintes et la pénibilité de leur travail les usent quotidiennement ;
– le pouvoir d’achat faible n’apporte aucune respiration dans la vie de tous les jours.
Un sentiment d’inutilité sociale et un manque criant de reconnaissance humaine :
– 40% ne trouvent peu ou pas de sens à leur travail quotidien, contre 26% pour les autres Français.
– 40% estiment que leur vie professionnelle n’offre pas ou peu d’opportunités de progresser, d’apprendre, contre 26%.
– Enfin, 61% d’entre eux estiment n’avoir aucune perspective de progression professionnelle, contre 44% pour les autres Français. La principale conséquence de cet état de fait est le besoin prégnant d’être considéré au travail et plus globalement dans la cité, dans le regard des autres.
Une vie personnelle contrainte et un travail effectué dans des conditions difficiles :
– Ces travailleurs sont moins diplômés que la moyenne nationale, ils ne possèdent pas de réseaux professionnels et n’ont pas toujours de familles pour les épauler (femmes seules et familles monoparentales, séniors oubliés).
– Ils sont contraints par le temps qu’ils passent dans les transports entre leur lieu de vie et leur lieu de travail et disposent d’un degré d’autonomie moindre dans leur cadre de travail. Souvent exposés à un management directif du fait de la nature exécutive des tâches qui leur sont assignées, à des postures physiques et à des horaires souvent atypiques, ils ont moins de marge de manœuvre dans leur quotidien.
– Soumis à des cadences et à des horaires fixes, ils sont dans une quasi-impossibilité de télétravailler (pour 75% d’entre eux).
– Par ailleurs, l’utilisation de l’uniforme (45%), les temps partiels (23%) et les contrats précaires (20%) les caractérisent.
Un pouvoir d’achat faible et un déclassement social :
– Parmi ces travailleurs qualifiés d’« invisibles » par cette étude, la moitié vit avec moins de 1 500 € brut par mois ce qui implique que 44% des « Invisibles » estiment ne pas parvenir à combler leurs besoins primaires.
– Dans le même temps, 37% des foyers « Invisibles » déclarent ne pas recevoir d’aides de l’État (RSA, allocations familiales, APL…).
– Et pourtant, ce qui est paradoxal, c’est qu’ils fournissent aux citoyens de « nouveaux services » dont ils ne peuvent pas forcément bénéficier : sans possibilité de consommer, d’acheter, de se faire plaisir (93%), le sentiment, légitime ou non, d’être placé au ban de la société, existe.
“Ils représenteraient plus de 40% de la population active française. Autant dire que dans l’ombre de chaque Français qui parvient à exister socialement et économiquement se tient un « Invisible », qui rend cette existence possible, plus fluide, plus profitable, voire plus digitale.” commente Patrick LEVY-WAITZ, président de la Fondation Travailler autrement.
À l’issue de cette vaste étude, un « comptoir des Invisibles » sera créé au sein de la Fondation Travailler autrement, qui sera présidé par Denis Maillard, auteur d’« Indispensables mais invisibles » paru aux éditions de l’Aube en 2021, et co-fondateur de Temps Commun.