Voici presque 40 ans que l’inflation n’était devenue une préoccupation dans notre pays. La voici qui resurgit et une question me vient : sera-t-elle une accélératrice de tendances à l’œuvre pour le monde du travail, comme l’a été la crise sanitaire ? Il y a fort à parier.
Premier indice avec l’explosion du recours au covoiturage. Avec un surcoût moyen d’une centaine d’euros par mois des trajets domicile-travail du fait de la hausse des prix à la pompe, les salariés français ont eu vite fait de se tourner vers le covoiturage pour chercher quelques économies. Sur le site de l’Observatoire national du covoiturage, quelque 400.000 trajets ont été recensés au mois de mars 2022. C’est cinq fois plus qu’il y a un an (dans un contexte particulier il est vrai) et les applications de mise en relation se retrouvent en surchauffe !
Surtout, les demandes d’entreprises ont explosé. Mises sous pression par leurs salariés, les entreprises veulent désormais aller vite pour rattraper des années de petits pas en la matière. A leur décharge, il faut convenir que l’organisation de ces trajets en covoiturage n’est pas chose aisée. Sa réussite repose en effet sur l’effet de masse : plus les salariés d’un même site déposent d’offres, plus les possibilités de covoiturage s’accroissent, et moins le risque de se retrouver sans solution le soir pour rentrer chez soi existe. Car si l’heure de départ peut être à peu près maîtrisée, l’heure de retour, avec les urgences et demandes de dernière minute, est, elle, beaucoup plus aléatoire. Même en mettant en place un système de secours (souvent le recours à des VTC), les réticences des salariés étaient importantes, et on les comprend. Résultat, du domicile au travail, le taux d’occupation moyen des véhicules tourne autour de 1,1…
Avec la hausse des prix, l’équation semble changer dans la tête d’un nombre grandissant de français. Est-ce que cela signe un décollage pérenne pour le covoiturage ? Pas sûr !
Les exemples montrent que seule l’implication de l’employeur et des collectivités permet de convertir durablement des salariés au covoiturage. Lorsque l’employeur met la main à la poche, le taux d’utilisation grimpe en flèche. Thermador, en Isère, a ainsi convaincu la moitié de ses 450 employés, ce qui est tout à fait remarquable. L’engagement des collectivités est également un facteur de succès. Elles peuvent subventionner significativement les trajets de façon à ce que les passagers voyagent gratuitement ou presque, tandis que les conducteurs peuvent gagner de 2 à 4 euros par trajet. Une puissante incitation, qui doit cependant être pérenne. Or, dans un contexte de retour à une certaine maîtrise des dépenses après plusieurs années de « quoi qu’il en coûte », doublé d’une hausse attendue des taux d’intérêt qui va alourdir d’autant le coût de la dette, les collectivités vont, comme souvent, faire du « stop&go » sur le sujet. Le covoiturage est donc encore loin de remplacer « l’autosolisme » mais il se fait doucement sa place, notamment dans les grandes agglomérations, et nul doute que les moins de 35 ans, qui représentaient deux tiers des utilisateurs en 2015, y recourront de plus en plus, portés par leur engagement en faveur du climat.
Outre la voiture, le partage touche les bureaux avec le développement du flexoffice et du « desk sharing » qui l’accompagne. Dans ce cas, c’est moins l’inflation que le télétravail qui bouleverse l’équation. Une équation dans laquelle s’invite les opérateurs de coworking.
Après une croissance vertigineuse des prises à bail entre 2015 et 2019, les opérateurs ont subi un coup d’arrêt en 2020. Mais les opérations sont reparties en nette hausse en 2021 (+ 54%) et surtout depuis le début de l’année, notamment sur le segment des surfaces comprises entre 5 000 et 10 000 m2. Un marché du coworking qui ne prend plus de surfaces supérieures à 10 000 m2 depuis plus de deux ans, signe peut-être que l’offre se repositionne sur des surfaces inférieures, plus rapidement louées. De sources concordantes, la demande est en effet très élevée en ce début d’année et les espaces rapidement remplis.
Quoi qu’il en soit, le secteur du coworking et du « comeeting » foisonne de nouveautés, avec les derniers lancements en date de Rayon par le couple Nexity/Morning et d’Afterplace par Nexity encore, en duo avec Culture&Patrimoine cette fois. Un marché qui parie donc sur le développement des espaces de travail et de réunion partagés et loués à la demande.
Là encore, l’engagement des entreprises, pour l’heure peu pressées de financer ces services de location d’espaces partagés à la demande, assurera ou non le succès de ces initiatives. Les salariés français, de leur côté, sont moins enclins à recourir aux tiers lieux que leurs collègues européens.
Le partage des voitures comme des bureaux s’ancre dans nos habitudes de travail, porté par les dernières crises, sanitaire et énergétique. Le signe d’une évolution de nos habitudes dans notre quotidien de travail, avec toutefois quelques inconnues pour en assurer le plein développement et la pérennité. Sans doute la prochaine frontière pour les directions de l’immobilier et de l’environnement de travail.
Toute l’équipe d’ANews WorkWell vous souhaite une belle semaine de partage !
Lionel Cottin
Directeur de la rédaction d’ANews WorkWell